Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Écoutez cette parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon. Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : ‘Ils respecteront mon fils.’ Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : ‘Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !’ Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? ». On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. » Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. »
Plus fort que les trahisons, le projet de Dieu est vin de fête
Jésus aime la vigne, il la connait bien et peut être y a-t-il travaillé. Il la contemple et de là il en tire six paraboles que nous retrouverons dans les Evangiles. Il l’a même adoptée comme symbole (« Je suis la vigne et vous êtes les sarments », Jn 15, 5) et au Père, il lui a donné le nom et la figure du vigneron (Jn 15, 1). Lanza del Vasto avait illustré un de ses ouvrages avec cette image prophétique : une arche ayant une vigne comme voile. L’arche de notre histoire, celle qui sauve l’humanité, l’arche qui flotte sur les eaux de ces déluges ininterrompus, l’arche qui traverse les tempêtes, poussée par la voile qu’est le Christ vigne, dont nous sommes tous les sarments, capturant le souffle de Dieu, le vent du futur. A nous le voile, à Dieu le vent.
Mais aujourd’hui, Jésus nous parle d’une vigne avec une vendange de sang et de trahison. La parabole est limpide. La vigne, c’est Israël, c’est nous, c’est moi. A la fois, espérance et désillusion de Dieu, jusqu’à ces dernières paroles insensées des vignerons : « Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage ! ».
Le mobile du meurtre est l’avoir, le posséder, prendre, accumuler. Cette intoxication pour le pouvoir et l’argent est à l’origine des vendanges de sang de la terre, « racine de tous les maux » (1 Tm 6, 10).
Et pourtant, il est réconfortant de voir que Dieu ne se rend pas, il est toujours surprenant et il recommence après chaque trahison à assiéger de nouveau le cœur de l’homme, avec d’autres prophètes, avec de nouveaux serviteurs, avec le fils et, même avec la pierre d’angle rejetée. Il conclut la parabole : « quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? après l’assassinat du Fils ? ». La solution proposée par les juifs est logique, une vengeance exemplaire et puis de nouveaux ouvriers agricoles, qui paieront en temps et en heure le patron. Jésus n’est pas d’accord, Dieu ne perd pas son temps, son éternité à se venger. Jésus explicite ici la nouveauté de l’Evangile : l’histoire éternelle de l’amour et de la trahison entre l’homme et Dieu ne se conclura pas par un échec, mais par une nouvelle vigne.
« Le royaume de Dieu sera confié à une nation qui donnera des fruits ». Comme ces paroles sont réconfortantes. Mes doutes, mes péchés, mon champ stérile ne suffisent pas pour interrompre l’histoire de Dieu. Son projet, qui est un vin de fête pour le monde, est plus grand et solide que toutes mes trahisons, et poursuit son expansion nonobstant toutes les forces contraires et la vigne fleurira de nouveau, promesse de nouvelles vendanges.
De fait, Dieu n’attend pas la remise des fruits ou ne réduit pas la peine, son désir est que de la vigne ne mûrissent plus des grappes rougies par le sang ou abîmées par d’amères tristesses. Il attend des grappes chaudes gonflées de et douces comme le miel. Il attend une histoire qui ne soit pas une histoire de guerre de possessions, de batailles de pouvoirs, mais qui produit une vendange de bonté, un fruit de justice, des grappes d’honnêteté et, peut-être quelques baies ou gouttes de Dieu au milieu de nous (comme le sont les saints).
Bon dimanche
Fr. Thierry Knecht, O.SS.T.